Bach Whistled

Ouverture du 2 juillet au 28 août 2016 de 14h à 18h du mardi au dimanche et les samedis et dimanches du 3 au 18 septembre 2016 de 14h à 18h

Adrian PIPER

Une action collaborative
du Pôle d’Action et de Recherche
en Art Contemporain de Dijon
en partenariat avec la Ville de Dijon

Enregistrement de performance Adrian Piper siffle sur les concertos de Bach en D Mineur, A Mineur et C Majeur. Au début le sifflement est relativement fort, clair et dans le ton. Au fur et à mesure que la performance se déroule, le sifflement devient plus faible, plus plat et plus plaintif.


Bach Whistled, pièce sonore réalisée en 1970, bien qu’œuvre de jeunesse, est pourtant éclairante quant à l’ensemble du travail d’Adrian Piper. En effet, l’artiste met en place l’une des orientations majeures de son œuvre en positionnant son geste artistique depuis la notion d’expérience.
Piper s’est enregistrée sifflant les Concertos de Bach en D Mineur, A Mineur et C Majeur, dans cet ordre ; l’œuvre est la trace de cette performance physique. Si le début de la performance sonore repose sur une maîtrise technique de l’artiste, sur un travail du souffle et de sa puissance, et si le corps de l’artiste apparaît en filigrane par ses bruits, le déroulement de cette performance nous confronte de plus en plus directement à un corps en lutte : le souffle se perd, les notes sont moins distinctes, parfois fausses… Ce corps est absent visuellement, mais nous ne pouvons lui échapper qu’en fuyant l’espace immatériel de l’œuvre puisque le son est omniprésent et enveloppant. Avec Bach Whistled, Piper déjoue les possibles stratégies d’évitement mises en place contre l’Autre, puisqu’on ne peut échapper à son sifflement que par la fuite.
Les stratégies de l’Autre, de l’Autre marginal seront au cœur de l’ensemble de son œuvre dans une mise en évidence de l’oppression générée par le fait social. Le geste de Piper repose sur une confrontation avec le spectateur, depuis une expérimentation physique, qui ne laisse pas le choix de prendre conscience des réalités politiques et sociales, conscience de l’Autre.
On retrouvera l’univers musical d’Adrian Piper dans plusieurs œuvres, notamment avec Funk lessons, 1982-1984. Piper oscille en effet entre la culture dite mainstream, avec Bach, par exemple, et la culture dite « afro-américaine», au travers de la musique Funk, pour mieux mettre en question les stéréotypes raciaux liés à la propriété culturelle, aux compétences artistiques…
Piper inscrit son geste artistique le plus souvent dans la performance, et plus précisément dans une expérience au présent. Elle nous oblige, en regard à la confrontation avec son propre corps performatif, à une expérimentation de l’œuvre qui se trouve ailleurs que dans l’expérience esthétique classique contemplative.
Le caractère, non pas expérimental, mais bien plutôt expérimenté de Bach Whistled apparaît comme un prémisse qui peut nous éclairer quant à la façon de comprendre le travail de Piper. En effet, dans cette continuité de recherche de l’expérience vécue, Piper ne travaille pas sur les thèmes de l’identité ou encore de la différence, mais propose de les expérimenter dans son corps, dans un contexte politique et social implacable.

De fait, cette confrontation pour le regardeur revient à jouer également une expérience de la différence. Piper décide de prendre le pas du faire comme si lié à l’acte performatif depuis un contexte réel, depuis les lieux publics de la rue, des transports en commun... C’est une posture artistique d’autant plus violente pour le regardeur que l’étrangeté de la confrontation aux stéréotypes tient du fait qu’ils sont caricaturés dans une réalité, celle du spectateur. Piper tente alors de transmettre au regardeur l’acquisition d’une expérience de la marginalisation.
Dans la suite de son travail, l’artiste travaillera en effet à mettre en évidence les stéréotypes, entre autres racistes et misogynes, en les déconstruisant. Cette déconstruction passera par une prise en charge du corps, par une incorporation du discours qui fait que l’expérience prime sur l’image ou la représentation.
Charlotte Prévot


Texte extrait du livre Fonds régional d’art contemporain de Bourgogne 1984-2000